Le blog du bateau ivre

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Violon dingue

Violon dingue

Une amie très digne, bien que quelquefois un peu libertine, m'a narré cette visite d'une pré-exposition. Je ne résiste pas au plaisir de vous la reproduire in extenso :
"Conviée à un pince-fesses, les filles, je m’y rends, pas je me rends, bien sûr, enfin pas tout de suite. J’entre donc au Louvre, pas pour y faire tapisserie (le lieu est déjà bien équipé), encore moins momie (là, il faudra attendre un peu), mais pour y contempler les œuvres du maître.
Petit passage par le Carrousel où, défilant (évident, non ?) comme au bon temps de Thermidior, mes charmes, enfin mon charme, font mouche. Trop de monde ici, les invités arrivés en car ravagent le pavé, on est obligés de s’approcher avec Bernard du buffet. Marrant, Brandt, me dit-il à propos de son ami Willy. Nul doute que s’il vînt ci-devant et qu’il y matât Harry, le pâtre au gilet mohair hellène, il eût marqué sa préférence pour les jeunes éphèbes grecs. Très peu pour moi !
Bref, il y a beaucoup de monde !
Me voici donc en face du Songe d’Ossian (huile sur toile), le piètre barde pré-romantique imaginaire, surnommé à l’époque l’Homère du Nord, l’amer du Sud, quant à lui, fort dépourvu ( quand…), faisait la manche près de la mer Egée, en premier plan très coloré sur la toile donc, tandis que le fonds et l’arrière, sans intérêt chez les classiques, arboraient des visages et des corps de soldats morts au combat et d’amoureuses éplorées (nues, comme chacun sait) d’un vert pâle lugubre, onirique et blafard d’une modernité rappelant les peintures du vingtième siècle des soviétiques ou bien les traits taillés au couteau de certains portraits de Picasso. Plus loin, c’est le portrait de Monsieur Bertin (huile sur toile), bouddha de la bourgeoisie cossue, repue, triomphante, au style hyperréaliste, quasiment une photo ; à la fois reflet d’une vision très avancée du devenir de l’art pictoral et porteur d’une réflexion politique forte. Plus avant, c’est Jupiter et Thétis (huile sur toile) où l’étrangeté vient de la totale disproportion des formes, la dimension colossale de Jupiter s’opposant à la singularité de la divinité marine, au cou interminable, obsédante et ensorcelante, désossée de l’épaule droite lui interdisant ainsi toute saillie disgracieuse. Ce seront plus tard la Grande Odalisque (huile sur toile) et la Grande Baigneuse (huile sur toile) où la cuisse gauche pour la première et la droite pour la seconde ne semblent pas sorties du corps. Ainsi également du nombre élevé de vertèbres de la première de même que la longueur interminable de son bras droit. On retrouve ces incongruités dans La Source où l’eau d’une amphore coule en jets ne tombant nulle part, où toujours l’eau dans laquelle la baigneuse nue repose ses pieds est immobile !
« Le nu n’est pas un sujet, mais une forme d’art » dit Kenneth Clark. On l’aura compris, la femme occupe une place importante chez le peintre, pas de recherche d’érotisme scabreux, mais l’exposition de la perfection idéalisée, selon lui, de l’harmonie du corps féminin, au besoin en en modifiant l’anatomie osseuse gênante. On ne peut manquer la perfection enfin d’un portrait, tel que celui de Pauline Eléonore de Galard de Brassac de Béarn (oui, c'est une seule personne), tout en étant frappé de l’irrespect singulier des proportions du corps et du visage de Mademoiselle Rivière.
Le violon, enfin, un stradivarius, paraît-il (difficile de s’y retrouver dans tous ces os), stradavarié, aurait-on dû dire, étant donnée la décrépitude de l’instrument !
Une très belle exposition, ne la manquez pas, si vous en avez l’opportunité, il est rare de pouvoir changer d’avis sur quelqu’un du tout au tout en si peu de temps.
Il s'agit d'Ingres, bien entendu, mais vous l'aviez reconnu, je suppose!"


14/03/2006
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